Nigel

-Ecoute moi bien, ton ami, il vit où ?

Je regardais le policier en face de moi. Pourquoi me posait-il cette question ?

-Euh... De qui parlez-vous ?

Je feignis de ne rien savoir, sachant pertinemment que Nigel ne voulait pas qu’on sache qu’il était dans la forêt. Qu’avait-il bien fait ?

-Tu sais, l’homme avec qui tu passes tes après-midis depuis un mois. Il a des cheveux noirs.

-Pardon, je ne vois vraiment pas de qui vous parlez. Depuis un mois je passe mes après-midis avec mes amies du lycée, on va à la patinoire ou au cinéma ou bien faire les magasins… Je ne connais pas d’homme aux cheveux noirs. De toute façon, quel âge a-t-il ?

-Une trentaine d’année. Ne fais pas l’innocente, on t’as vu.

Je me penchais vers lui, assis en face de moi, de l’autre côté du bureau.

-Qui vous a dit ça ?

Il fit une moue et fit un signe de tête négatif.

-Je n’ai pas le droit de vous le dire, de toute façon, ce n’est pas important.

J’haussais un sourcil. Comment ça, pas important ? Je secouais la tête et soupirais.

-Qui est cet homme ? Demandais-je.

Il se leva et fit le tour de son bureau pour se planter devant moi.

-C’est un meurtrier. Il s’est évadé de sa prison il y a environ un mois et demi.

J’eu un sourire.

-Pardon ?
-Ce type est un meurtrier.

-Alors pourquoi aurais-je passé mes après-midis en compagnie d’un tueur ?

-Je l’ignore.

-C’est minable. Si vous me dites son nom je vous confirmerais que je le connais. Mais par le biais de la télé. Si c’est un meurtrier, j’en ai surement entendu parler.

-Nigel Yates.

Je me pinçais la lèvre inférieure. C’était donc lui…

-Oui je le connais. Jamais je ne l’aurais laissé m’approcher. Si je l’avais croisé, j’aurais averti la police. Vous me prenez pour une imbécile ?

Je sortis en trombe du commissariat, et fonçai vers la forêt. Qui était-il pour oser me mentir ? Cet homme, ce MEURTRIER, puisque telle était sa profession, comment avait-il pu me tromper ? Jamais je n’aurais pensé qu’il aurait pu me trahir. J’hurlais son nom dans la forêt. Peu m’importais que quelqu’un entende, peu m’importais qu’il soit près ou loin, je voulais le retrouver, à tout prix.

Il apparut au bout de quelques minutes, entre les arbres, les yeux grands ouverts.

-Qu’est-ce qui t’arrive ? Pourquoi tu cries comme ça ?

Il s’approcha de moi.

-TU M’AS MENTI !

-Quoi ?!

Je pris un caillou au sol, et lui jetais à la figure, qu’il évita au dernier moment.

-Qu’est-ce qui t’arrive ?!

-Tu m’as menti… dis-je en m’effondrant au sol, les yeux larmoyants.

Il s’approcha de moi et se baissa.

-qu’est-ce qu’on t’a raconté ?

-C’est pas vrai hein ?

-Qu’est-ce qui n’est pas vrai ?

-Ces femmes et ces hommes là.

-Qui ça ?

Je levais les yeux sur lui.

-Ceux qui tu as tués Nigel. Ceux que tu as tués…

Il se tut. Il fit quelques en arrière et arracha une feuille.

-Si c’est vrai.

-Non ce n’est pas vrai Nigel.

Je me levais.

-CE N’EST PAS VRAI PAS VRAI PAS VRAI PAS VRAI !

J’étais effondrée.

-Alors pourquoi tu les as tués Nigel ? Pourquoi eux ?

-Je ne sais pas…

-Pourquoi eux, et pas moi ?

-Qui peut le dire de toute façon ?

-Si toi-même tu l’ignore, comment peut-on le savoir ?

-Vous ne pouvez pas…

J’essuyais mes larmes avec le revers de ma manche. Je tournais les talons et repartit. Je repartais loin, loin de tout ça, de cette vie.

-Attend !

Je m’arrêtais sans me retourner. Pourquoi c’était si injuste ?

-Je pensais que tu étais mon amie.

Je me retournais vivement, des éclairs dans les yeux.

-JE le croyais aussi Nigel, mais qui m’as menti ? Qui a refusé de parler de son PASSE ?

-Si tu l’avais su, tu ne m’aurais jamais parlé. Tu nies avoir passé de bons moments avec moi ?
Je baissais les yeux.

-Je pensais que tu étais mon ami. Je pensais te connaître et t’apprécier à ta juste valeur. Je pensais avoir ENFIN trouvé quelqu’un qui me ressemblait et qui me comprenait.

-Mais j’étais toutes ces choses.

-Non… Tu n’étais qu’une illusion en fin de compte. Je pensais que tout continuerais, et que tout irait pour le mieux. Mais tout va s’arrêter. Ils vont venir Nigel, ils te trouveront.

-Tout n’est pas obligé de s’arrêter. Si tu veux que ça continue, ça continuera. Je t’ai enseigné des choses précieuses, que tu m’as promis de ne jamais oublier. La force, la volonté, la discrétion, la générosité… Et bien d’autres encore. Tu m’avais promis…

-Je t’ai fait confiance, et tu m’as menti.

-Je n’avais pas le choix !

-TOUT LE MONDE A TOUJOURS LE CHOIX !

Je repartis sur le chemin. Puis soudainement, il reprit la parole. Je m’immobilisais à nouveau.

-Pourquoi pas toi hein ? C’est ça qui t’intéresse ? Et bien si tu veux tout savoir… Je n’ai pas ressenti le besoin de tuer en ta présence. J’avais l’impression que tu étais comme moi, j’ai cru me voir adolescent. J’ai cru pouvoir t’enseigner ce que je n’aurais jamais le moyen d’enseigner à mon propre enfant. Je suis condamné et tu le sais. Mais j’ai trouvé en toi cette fille, cet être qui me manquait. J’étais convaincu que tu pouvais me redonner le sens de la vie. Je vais peut-être mourir ici, surement en prison. Je suis détesté par tout le monde. J’ai tué des gens, je le reconnais, je l’affirme. Mais tu n’étais pas comme eux. Tu avais cette flamme qui anime n’importe quel homme en face de toi. Tu as cette étincelle de la vie, qui m’a redonné envie d’y croire. Tu étais comme un ange tombé du ciel, comme un ange gardien.

Je tournais les talons et plantais mes yeux dans les siens.

-Tu sais, commençais-je avec une voix enrouée, j’ai toujours cru en toi depuis le début. Tu m’as apporté beaucoup de choses. Tu as été mon meilleur ami, celui en qui j’ai le plus confiance. Tu as su me redonner confiance en moi. Tu es un meurtrier Nigel, un tueur reconnu. Mais pourquoi ? Je n’arrive pas à comprendre pourquoi ? Je pense que quand tu vas aller en prison, tu vas laisser un grand vide. Je ne sais même pas ce qui va m’arriver, et je m’en fiche. Au moins, j’aurais eu l’occasion de te connaître, et je crois que c’est un grand trésor. Qui est capable de juger un tueur après tout ? Qui est capable de TE juger sans te connaître ? Moi je te connais. Ton cœur est bon. Tu vas beaucoup me manquer Nigel, je serais juste, trop fière, pour l’admettre.

Il s’avança vers moi et me serra dans ses bras. Cela faisait longtemps que je recherchais cette figure paternelle et amicale. Tellement longtemps que j’en avais besoin… J’avais envie que ce moment ne s’arrête jamais… Que plus rien ne vienne troubler ce bonheur auquel j’avais ENFIN droit…

Soudain, un bruit de craquement retentit non loin de nous. Je tournais la tête et desserrais mon étreinte. L’oreille en alerte, le cœur battant, j’écoutais. Qui était-ce ? Puis j’aperçus une botte dans l’herbe.

-Les flics !

Je regardais Nigel.

-COURS !

Il restait sur place, incapable de faire un seul pas.

-COURS COURS COURS !

Je vis une larme couler sur sa joue.

-C’est trop tard…

Je sentis une main sur mon épaule, et une voix retentit.

-Ne t’inquiètes pas, il ne te fera pas de mal, nous sommes là.

Je dégageais mon épaule de l’étreinte.

-Il n’est pas méchant ! C’est Nigel !

Le policier me sourit et m’ordonna de me reculer.

-Surement pas ! Vous ne le toucherez pas sans me passer dessus !

-RECULES TOI !

Je me retournais et courut vers Nigel. J’attrapais sa main et l’entraînait avec moi derrière un buisson. Ils ne pouvaient pas nous atteindre sans craindre de me toucher. Ils ne pouvaient rien faire.

-Tu vois, ils ne peuvent rien te faire tant que je suis là… Je vais rester là, tu vas partir, t’en aller loin, très loin.
Il me regarda.

-C’est trop tard maintenant, je suis fichu.

-Non ce n’est pas trop tard !

Je sortis le flingue de ma poche et lui tendit.

-Tu as ton destin entre tes mains. Tu as notre destin entre tes mains. Vas-y, tue-moi. Je ne veux plus de cette vie, j’en VEUX PLUS !

Je pleurais à présent. Il se saisit du pistolet et l’observa, puis leva les yeux sur moi.

-Tu sais, on n’est pas obligé de se plier à leurs lois. On a passé assez de temps ensemble. J’peux pas sans toi. Si tu pars en prison, j’vais pas pouvoir continuer, dis-je.

-J’veux pas que tu deviennes comme moi. C’est pas le destin que j’veux pour toi.

-C’est pas celui que t’aurais du choisir pour toi non plus. Tue-moi… Je t’en prie…, repris-je.

Il mit le pistolet en joue, et fit jouer la roulette. Il observa le pistolet et l’instinct meurtrier prit soudain le dessus. Chaque fibre de sa peau vibrait au contact du pouvoir de la vie. Qui avait donc le droit de décider qui devait vivre ou mourir ? Il renifla l’arme et la porta à sa tête. Nigel se sentit renaître. Enfin il sentait que sa vie avait un sens. Cette arme lui en donnait un. Qui aurait pu croire que cet instinct dévorait tout sur son passage ? Il sentit ses organes vibrer, et l’instinct l’envahit. Cette chose meurtrière et vorace qui l’entraînait, lui et tout son être dans le tourbillon infernal de la mort. Cette chose qui ne laissait aucune chance à ses victimes et qui ne lui laisserait aucune chance à lui.

-Appuie Nigel…

Puis une détonation partit, et Nigel tomba au sol. La balle était entrée dans sa tête. Le policier qui avait tiré arriva et me prit dans ses bras. Il me serra fort, et je me laissais faire.

Nigel était mort. Il était partit.

-Non…

Je me défaisais de l’étreinte du policier et m’agenouillais près du corps de mon ami.

-T’avais pas le droit de me laisser…

Le policier s’approcha de moi et mis sa main sur mon épaule.

-C’était un meurtrier…

-MAIS C’ETAIT AUSSI MON AMI ! C’était aussi mon ami…

Je m’allongeais près de lui et pleurait. Pleurait jusqu’à ce que des gens viennent me chercher. Jusqu’à ce que tout s’arrête, jusqu’à ce que cette forêt ne soit plus qu’un rêve. Un mauvais rêve.

Le lycée était plein. Plein de têtes qui me fixaient. Tous les jours je subissais le même manège, tous les jours le même cauchemar. Je marchais dans les couloirs, seule. Les autres me dévisageaient, s’écartaient sur mon passage. Etais-je donc devenu un monstre ? Côtoyer Nigel ne faisait pas de moi le meurtrier qu’il avait été. Au bout de cet immense couloir, ou plutôt, qui me paraissait immense avec tout ces yeux posés sur moi, je vis les policiers qui m’attendaient. Ils étaient là, comme ils me l’avaient dit. Ils m’avaient promis d’être là ce matin. Je les rejoignis, sans un regard en arrière. Je laissais désormais cette vie minable derrière moi, cette vie, qui n’en était pas vraiment une. Qu’allais-je devenir ? Je l’ignorais, et ça m’importais peu. Le policier qui avait tiré sur Nigel était en face de moi, debout contre le mur. J’étais assise sur la chaise, derrière le bureau de la salle. Nous étions seuls tout les deux. Il avait demandé à me parler. J’allais comparaître dans le procès contre Nigel, et au mien par la même occasion. J’allais être jugée et surement condamnée pour complicité. Ma vie allait peut-être commencer à ce jour. Elle allait prendre un sens lorsque la sentence tomberait. Enfin, je pourrais me vanter d’avoir fait quelque chose de cette putain de vie.

- Un ami tueur, ce n’est pas un peu beaucoup ? dit-il.

-Vous ne pourrez plus le juger maintenant, vous ne pourrez plus. Vous l’avez tué. Vous devez vous en mordre les doigts n’est-ce pas ?

-Qu’est-ce qui m’empêche de faire ce procès ?

Je me levais et fit deux pas vers lui.

-Il est mort désormais ! Laissez-le tranquille ! Vous n’avez plus le droit de le juger !

Il s’approcha de moi et murmura dans mon oreille.

-Le mort n’est pas une preuve d’innocence.