« Si j'avais su »

« J'ai souvent rêvé d'un lointain pays, où tous les gens m'aimeraient comme le plus précieux des amis. Milles échos de leur joie montent à l'infini, et leur voix chante en moi : Tu es né pour cette vie… Je prends le chemin de mon rêve d'enfance, vers des lendemains au glorieux destin. Parmi les étoiles, je cherche idéal… Ce monde auquel j'appartiens qui est encore bien loin… »

L’appartement plein à craquer, mais vide. Voilà ce qu’il va rester de mon ancienne vie. Des cartons, des photos, des restes. Moi je m’en vais, la voiture vidée, nettoyée pour l’occasion. J’ai laissé un seul mot sur un papier froissé sur la table de la cuisine, parce que je sais que quelqu’un va venir. Ce quelqu’un s’appelle Steeve. Suivi de près par Mélanie et Aurélie. Un mot qu’ils liront séparément, mais qui leur sera adressé à chacun.

« Ne m’oublie pas. »

Un gargouillement se fit entendre dans le silence du véhicule. Comme je l’avais dit à Steeve, une chose nouvelle commençait. Une chose tellement magnifique, qu’on ne peut pas la comprendre sans l’avoir vécue. Une chose qui prenait forme petit à petit, et qui arrivait à point. Il fallait juste être patient. Comme une graine qui germe dans la terre et qui n’apparaît qu’au printemps. Patience Lisa, patience. Le gargouillement se fit plus intense. Je passais la main sur mon ventre, délicate. Patience.

Dans un appartement vide, des pas se firent entendre, résonnèrent sur le plancher usagé. Deux pieds, puis quatre. Puis six. Trois paires d’yeux qui se posèrent ensemble sur le même papier froissé sur la table. Trois paires d’yeux d’où des larmes roulèrent. Trois paires d’yeux inconsolables. Et sur la route, une gorge qui se noue en se rendant compte que tout allait changer.

« C'est quoi la vie ? Une erreur ? Une punition ? Un départ ou une arrivée ? »

Un départ ou une arrivée ? Je n’en sais trop rien en fait. Un départ si c’est le début de la vie, une arrivée si c’est la fin de la période où l’on n’existe pas vraiment. Pas en tant qu’humains je veux dire. Un humain de chair et d’os. Sinon oui on existe surement, en tant qu’esprit ou j’sais pas trop quoi… Juste une âme peut-être. Mais pas une punition. Ou alors c’est qu’on a vraiment été quelqu’un de mauvais dans une autre vie je ne sais pas… Je n’ai jamais entendu dire que la vie était une punition. Beaucoup de personnes la qualifie de merdique, ou parle de leur « putain de vie », mais bon c’est une vie quand même ?

Quand t’es parti moi je n’ai pas dit que la vie c’était de la merde tu sais, alors pourquoi les autres ils le disent pour moi ? « La vie est dégueulasse ». Ah ? Moi je ne trouve pas. Elle est… injuste. Voilà le mot. Injuste. Pas dégueulasse. Injuste de t’avoir pris alors que je ne suis rien sans toi. Injuste de t’avoir ramené en haut alors que j’avais encore besoin de toi ici. Qu’on avait tous besoin de toi. La vie on dirait qu’elle se croit drôle par moments, qu’elle croit que j’peux affronter ça, affronter ce qu’elle envoi. Comme si elle pensait que j’étais quelqu’un de fort. Comme si je pouvais avoir ce bébé toute seule, comme si je pouvais partir toute seule dans ma voiture, comme si je pouvais laisser tout tomber jusqu’à mes meilleurs amis après ça, comme si je pouvais vivre sans toi…

J’avais roulé toute la nuit, je m’étais juste arrêtée pour manger un morceau et j’étais repartie tout de suite. Je voulais partir, loin très loin d’ici, en laissant tout derrière moi. Je ne sais pas comment j’ai fait pour affronter tout ça, mais j’suis toujours là. J’me regarde dans le rétroviseur intérieur et je me vois. Les traits tirés, le sourire inexistant, les pupilles dilatées par le sommeil, les yeux injectés de sang. Et ton reflet derrière, sur la banquette arrière comme quand tu me disais que les sièges puaient la fumée et que je devais ouvrir la fenêtre même quand il faisait -5 dehors. Surtout que c’est toi qui enfumais toute la voiture, et moi je souriais et j’ouvrais la fenêtre, et on rigolait comme des cons en s’enrhumant… Quand je tourne mon regard vers la banquette arrière, j’vois que du vide. Tu n’es pas là. Pourquoi tu n’es pas là Edouard ?

Je m’étais arrêtée dans une ville où j’avais juste vu des maisons fermées et des visages aussi durs que la pierre des murs. Cependant j’avais trouvé une espèce d’auberge qui prenait pas cher et qui avait plein de chambres de libres, histoire d’être tranquille, moi et lui.

-Lui ?

Je ne répondis pas. J’étais assise à une table près d’un des murs en bois, sirotant un mélange de la maison. Le journal ouvert sur ma table, la gérante de l’établissement était assise en face de moi, regardant avec attrait sa salle presque vide. Je lui avais parlé vaguement du pourquoi j’étais là, ou plutôt j’avais inventé une histoire qu’elle ne croyait surement pas. Elle s’appelait Marine, et devait avoir dans les trente ans, si ce n’est pas plus. Assez jolie, elle posait son regard pourtant bien entraîné sur les tables comme une experte.

-Et tu es sure que tes parents ne te cherchent pas ?

-Non ils pensent que je suis partie en voyage avec mon petit-ami.

-Et quand ils s’apercevront que c’est faux ?

-Je suis majeure et je suis vaccinée. Que peuvent-ils faire ?

Elle haussa les épaules et sourit en coin. Elle interpella un jeune homme qui essayait de faire je ne sais trop quoi avec des verres en équilibre sur ses doigts, ce qui finirait surement par terre. Chose qui se vérifia quand j’entendis un énorme bruit de verre cassé et les cris de Marine, cependant je ne sentis pas le coup de pied aux fesses que l’inconnu se prit juste après.

-En tout cas, dit-elle en revenant vers moi, tu dois te reposer et ça c’est sur. Tu accouches dans combien de temps déjà ?

-J’ai encore le temps Marine, je ne compte pas rester clouée sur un lit en attendant qu’il arrive. Je dois accoucher dans environ 7 mois, si ce n’est pas plus alors tu vois.

-Fais quand même attention à toi.

Au fur et à mesure du temps, je me sentais toujours mieux dans cette auberge, et même si mes amis me manquaient, ici j’avais tout ce dont j’avais besoin, pour le bébé ainsi que pour moi. Marine, ne me faisait plus payer la chambre ni la nourriture, et je pouvais me promener dans cette petite ville quand je le voulais. J’avais rencontré la plupart des habitants qui voulaient bien se montrer courtois et je m’étais habituée aux ruelles étroites et à la grande avenue qui desservait tout les commerces importants. Mon portable sonnait souvent, même trop à mon goût, accompagné du nom de Steeve, Mélanie ou Aurélie. Et même parfois celui de Yohann. Depuis le début de ma relation avec Edouard, je n’avais pas réentendu parler de lui. Il fallait dire que j’avais coupé contact. Il n’arrivait pas à m’apporter ce dont j’avais besoin, à combler cette solitude qui m’avait pas lâché jusqu’à Edouard. Jusqu’à lui. Je jetais le portable sur le lit et m’allongeais quelques instants en fermant les yeux. Je le vis en train de jouer de la guitare dans la chambre, ou essayant en vain de faire quelques accords, avec une guitare sèche décollée, désaccordée à laquelle il manquait une corde. Je souris dans le vide. En fait je m’étais jamais rendue compte que c’était Edouard que j’avais toujours attendu. Celui que j’attendais pour commencer à vivre vraiment. C’était Edouard depuis le départ, depuis le commencement. La voix de Steeve résonnait dans ma tête.

-Quoi qu’il arrive ?

Puis la mienne, lente et calme.

-Quoi qu’il arrive.

Quand j’ai vu Michael pour la première fois, j’ai cru qu’Edouard était revenu. En fait je le souhaitais tellement que je me suis prise à rêver une seconde. Et je suis retombée sur Terre. Michael est mon fils, Edouard est l’homme de ma vie. Ca fait une sacrée différence. Avec Michael on est lié par le sang. Avec Edouard on est lié par l’amour. C’est encore plus fort je crois. Ce n’est pas que je n’aime pas Michael. Mais c’est mon fils. Je l’aimerais toute ma vie, mais pas du même amour. La chair de ma chair, le sang de mon sang. Le fils d’Edouard. Mon fils. L’ultime cadeau du ciel.

J’avais regardé Michael dormir toute la matinée, silencieuse près du berceau. Depuis sa naissance, les visites se faisaient incessantes à l’auberge, et j’avais peu de moments entre lui et moi. Il était vraiment magnifique. Je n’ai jamais cru au regard d’une mère sur son enfant. Surement car ma mère à moi n’a jamais été comme moi je le suis avec Michael. Ou du moins je ne m’en souviens pas. Peut-être que quand mon père était encore là, elle l’avait ce regard différent… Qui s’était estompé avec les années. Mon père aurait aimé connaître Michael. Et Edouard. Je suppose qu’ils doivent nous regarder d’en haut, et ils doivent bien rigoler parfois. Je souris et je secoue la tête. Vous ne cesserez jamais d’exister tout les deux. Je m’en suis fait la promesse une fois. Vous existerez toujours à travers le regard de Michael ou le mien. Tant que je serais là, vous serez avec moi.

-Viens Lisa ma chérie.

La voix de mon père retentit dans ma tête. Ca faisait tellement longtemps que je ne l’avais pas entendue… Un frisson parcourut mon dos l’espace d’un instant.

-Ce soir on va regarder un western tout les deux d’accord ?

-Papa, dis tu m’aimeras toujours hein ?

-Pourquoi tu me poses cette question ?

-J’ai peur qu’un jour tu m’aime plus.

Il prit mes mains.

- Ecoute-moi. Je t’aime depuis que t’es née, et je veux que tu saches que je t’aimerais toujours, jusqu’à la mort et même encore après. On sera toujours réunis toi et moi tu sais pourquoi ? Parce qu’on s’aime. Je suis ton père, et je t’aime.

-Quoi qu’il arrive ?

Il posa son regard de père sur moi, et je vis briller le fond de ses yeux.

-Quoi qu’il arrive.