« C’est la larme à l’œil que je le revis… »

« C’est dur de réaliser à quel point les choix de ceux qui comptent pour nous peuvent nous briser. J’ai perdu un ami proche ; un pilier pour mon moral, qui en l’espace de quelques jours finit par complètement s’écrouler. Les meilleurs moments passés avec lui s’effacent. Je veux les récupérer, au même titre que lui ; je veux à tout prix qu’il revienne me parler, que notre amitié renaisse. C’est tout ce que je veux… »

Telles sont les quelques phrases que j’ai écrit dans mon petit cahier, ce petit cahier dans lequel j’écris absolument tout ; mes rêves, mes pensées, mes craintes, mes désirs, mais aussi mes regrets… Disons que je l’ai presque toujours avec moi. Aujourd’hui, c’était le cas. Je m’étais assise dans l’herbe qui entoure le lac quelques dizaines de minutes auparavant. J’aimais être seule, ici, tout était calme, il n’y avait aucun bruit, mis à part les douces brises qui sifflotait les cheveux lorsque le temps cachait le soleil. Le vent se levait, puis disparaissait quelques minutes après ; c’était agréable. Lorsque j’étais ici, je pensais. Je pensais toujours. & je ne sais pas pourquoi, dans ma tête, je revis la scène où Andrew m’abandonne, je le revois, les larmes coulent. Je ne pouvais malheureusement pas m’empêcher de pleurer à chaque fois que je pensais à lui, à chaque fois que je pensais à ce qu’il m’a dit. Quelque part dans l’histoire, c’est Jade la gagnante… C’est elle qui « a » Andrew, dorénavant. Quelle injustice. Je me sentais nulle, perdue. Quand je me remémore toutes les journée d’étés passées avec lui, la haine me vient à la bouche ; pourtant je sais que je regretterais toujours ce que j’ai choisi…

La journée touchait à sa fin, le soleil était maintenant très bas dans le ciel, qui commençait à prendre une teinte rosée magnifique. Le lieu était quasiment désert ; seuls des promeneurs tardifs pouvaient admirer le beau coucher de soleil. Peut-être que je devrais penser à rentrer, moi. Je rangeai le cahier que j’avais laissé fermé à côté de moi, le petit stylo bleu posé dessus avec, dans mon sac. Je regardais l’heure sur ma petite montre, je me dis finalement qu’il n’était pas si tard que ça, que ça ne servait à rien de se presser pour rentrer. Je me levai lentement, & décidai de faire un dernier petit tour autour du lac. Les oiseaux regagnaient tous leur nids, les oisillons gazouillaient, réclamaient leur nourriture. L’eau du lac était plate, aucun élément ne venait la perturber, tout ça était vraiment très beau. Si je le pouvais, je resterais toute la nuit ici, dormir à la belle étoile, avec cette vue bien plus qu’imprenable. J’étais pieds nus, mes talons à la main, mon sac sur mon dos. Au loin, je vis une personne qui m’était bien familière, je me demandais bien qui c’était… J’hésitais à m’approcher, puisque je me trompais sûrement. Alors je fis semblant d’admirer le lac dans toute sa splendeur ; en vérité j’attendais que la personne n’arrive plus près, n’omettant pas de jeter quelques petits coups d’œil discrets.

Lorsqu’Andrew s’arrêta, je laissai s’échapper un léger soupir. D’hésitation ? Peut-être. Sur le moment, je n’étais pas sûre. Je ne savais pas comment réagir face à son arrivé ; je ne m’y étais vraiment pas préparer. La culpabilité allait-elle surgir à son tour ? Quoi qu’il en soit, je n’osais pas lever mon regard sur lui, je restais la tête baissée. Je regardais l‘eau, cependant je ne parlais pas. Je ne bougeai pas ; je semblais tétanisée. Fort heureusement, ce n’était pas le cas. Il s’agissait juste d’un petit mélange de surprise & de… honte ? Sûrement. Après un léger temps de silence, je fermai les yeux, réfléchissant à ce que j’allais dire. La façon dont il m’avait appelée m’avait quelques peu interloquée. En effet, je voulais que « Madi » soit strictement réservé à mes amis. Or depuis peu Andrew n’en était plus un, étant donné son choix. Je rouvris les yeux.

Andrew ▬ « J'ai vu ton jeu depuis tout à l'heure Madi, pas besoin de faire semblant. Ca faisait un bail. »
Madison ▬ « Premièrement, je voudrais que tu cesse de m’appeler comme si j’étais encore ton amie ; tu sais autant que moi que ce n’est plus le cas. Ensuite, oui, ça fait un bail, mais c’est toi qui l’a voulu. »

Mes paroles étaient froide, je le savais très bien, mais je n’arrivais pas à être… douce face à lui après ce qu’il m’avait fait. Il allait falloir qu’il s’habitue. Je repris ma position initiale, face au lac. Je me répétais dans ma tête qu’il ne fallait pas que je commence à avoir des remords concernant ce que je venais de dire ; ça serait bien trop facile pour lui, après. Malheureusement, c’est ce qu’il m’arrivait à chaque fois… Voilà, je commençais déjà à culpabiliser. Arf. Je soupirais. Décidemment, je pense être bien trop faible psychologiquement pour pouvoir en vouloir à quelqu’un, c’est bien triste, tout ça. D’un air déçu, je baissai ma tête pour les caler dans mes mains. Tout était bien silencieux. Trop, peut-être. Je vins alors casser le silence.

Madison ▬ « Hum, excuse-moi, je ne voulais pas dire ça comme ça mais… C’est que je me sens tellement mal, limite j’ai mal de te voir devant moi. Non, enfaite oublie. »

Après ces quelques mots, la première chose que je fis c’était de m’accroupir, toujours face à la rive. Finalement, je posai mon arrière-train à terre, mes mollets ayant lâché. Je perdis un peu l’équilibre, oui, je basculai en arrière ; mais je me mis vite droite. Andrew, lui, était toujours debout, ses yeux scrutant le loin. Je ne l’avais toujours pas regardé depuis qu’il était arrivé ; enfin arrivé près de moi. Mais c’est que je n’en ressentais vraiment pas l’envie.

Mon regard soutenait toujours autant l’étendue d’eau douce devant moi qui semblait dormir paisiblement ; sans que rien ne vienne la déranger. Je n’arrêtais pas de revoir cette scène, dans ma tête ; elle me hantait depuis qu’elle s’était déroulée. Cette fameuse scène où Andrew m’annonçait que notre amitié se rompait aujourd’hui. Sauf que maintenant que j’avais Andrew devant moi, la scène paraissait bien plus réaliste, elle me faisait même peur. Je commençais à me balancer légèrement, tantôt en avant, tantôt en arrière, mais je fixais toujours le lac. Mes pensées m’emprisonnaient ; je semblais totalement vide de l’intérieur. A ce même moment, une petite larme solitaire vint s’échouer sur ma joue, elle coulait lentement, lentement… elle me chatouillait ; mais je n’eus pas le réflexe de l’essuyer avec ma manche, non, au contraire, je la laissais couler jusqu’à ce qu’elle arrive au coin de ma lèvre, là elle disparut. Une seconde apparut, mais sous l’autre œil ; cependant elle fit le même trajet que sa jumelle. Je n’avais pas envie qu’elles tombent toutes en abondance, oh non Andrew aurait gagné, sinon. Alors là il en était pas question. Malheureusement, il m’était impossible de les contrôler. Au bout de la troisième revue de la scène, Andrew avait fini de parler ; je ne l’avais écouté que superficiellement, pourtant ma réaction fut si… agressive.

Andrew ▬ « Je sais ce que c'est, et tu as parfaitement le droit de ressentir ça. Je sais que tu m'en veux pour ce que j'ai fais. Je sais que tu as souffert et j'en suis désolé, mais il fallait que tu comprennes. Il marqua une petite pause. Même si je n'aurai pas voulu que ça se passe ainsi. » 
Madison ▬ « Que je comprenne ?! Tu crois que c’était de me faire du mal, la meilleure solution pour que je comprenne ?! Je sais que je ne t’ai pas facilité des choses, mais alors ça je ne pourrais jamais te le pardonner, jamais ! Oh ça oui je t’en veux, tu n’imagines même pas à quel point je t’en veux, Andrew ! Pour le moment tu peux les garder, tes excuses, j’en veux pas. J’suis tellement dégoûtée tu vois… »

Je m’étais brusquement levée, & mes mains agirent : je poussai Andrew en appuyant sur les épaules. Celui-ci ne recula pas de beaucoup, c’était évident : je suis une fille pauvre en force. De plus il devait facilement peser une quinzaine fois une vingtaine de kilos de plus que moi. Cependant je reproduisis mon geste plusieurs fois, je m’avançais à chaque fois. C’était la colère qui agissait. Les larmes, elles, coulaient à flot pendant que je parlais. Mais quand je remarquai que ses yeux avaient pris une teinte rougeâtre ; je me stoppai net. Là, c’était la peur qui reprenait le dessus. Je n’avais pas l’habitude de le voir comme ça, d’habitude il le cache. Ses yeux m’avaient effrayée. Je reculai légèrement ; ce fut d’ailleurs une de mes premières réaction. La seconde ? Il n’y en a pas eu : je restai là, bouche bée, les larmes séchant sur mes joues rosées.

Le teint de ma peau avait littéralement blanchi ; on aurait cru que j’avais aperçu un fantôme. Mais ce n’était pas ça. La peau avait gagné tout mon corps, empêchant encore une fois tout mouvement. Rapidement, Andrew tourna la tête, afin de me cacher ses yeux. Ce n’est qu’après un long silence que je compris que ma réaction n’avait pas été géniale, je m’étais déçue moi-même. Andrew était aussi sûrement déçu de mon incompréhension. Mais dès lors qu’il m’était purement impossible de voir ses yeux, toute la peur qui m’avait emplie quelques minutes auparavant tomba, & je pouvais m’approcher. Je pouvais, mais je ne savais pas si je voulais… En réalité, ce qui se passait c’est que je me sentais vraiment trop nulle d’avoir réagit comme ça. Je doute que c’était ce qu’Andrew désirait… Je ne savais pas quoi faire pour me faire pardonner ; mis à part accepter de revenir vers lui. Il s’était retourné face au lac, comme avant.

Andrew ▬ « Lorsque cette couleur est à mes yeux, elle exprime souvent la colère et la rage que je ressens envers quelqu'un. Mais là, c'est plutôt le remord et la tristesse, mêlé à de la haine disparue. »
Madison ▬ « Je suis désolée, je ne voulais pas réagir comme ça… Mais sur le coup c’est vrai que ça effraie ; d’autant plus que c’est la première fois que je te vois comme ça… »

Pendant que je parlais, je faisais de petits pas vers lui. Oui, je m’approchais. Lorsque j’eus fini de parler à mon tour, j’étais à côté de lui. Contre toutes attentes, je n’avais plus peur ; je savais que j’allais devoir m’habituer à ses yeux. Mais là, je ne ressentis qu’une envie ; que je mis bien vite aux oubliettes : j’avais envie de le prendre dans mes bras, je me rappelais du bon vieux temps où je le faisais encore. La mélancolie, comme on appelle ça… Je soupirais : je voulais tout simplement le retrouver. Je ne fis rien ; mis à part me retourner moi aussi & plonger mon regard dans l’eau du lac. De temps à autres, il m’arrivait de le tourner dans sa direction, mais je ne voyais que son profil.

Madison ▬ « Pardonne-moi… »

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