Une rencontre entre collègues dans les cachots[Fe Rodolphus A. Lestrange]

Tourmentée. C'était sans doute l'adjectif qualificatif qui seyait le mieux à cette jeune femme. Oui, elle devait être réellement tourmentée. Ses agissements étaient aussi étranges que si elle eût commencé à danser la rumba dans une cuve de bouses de dragon en chantant le dernier tube des Rock&Troll's...
C'était pour cette raison que Rodolphus se plaisait à mener la vie dure à cette femme plutôt qu'à une autre. Il y avait toujours une surprise à la clef. Pour le moment, la dénommée Gabrielle Laskarina subissait de manière tout à fait normale les outrages dont le Mangemort s'amusait à gratifier son corps.
Du bout de sa cigarette, il avait fait fondre quelques trous dans la chemise de la prisonnière, en une ligne, il n’y aurait plus qu’à tirer pour déchirer le tissu. Il avait fait attention de ne pas brûler la peau de Gabrielle, mais avait fait en sorte qu’elle sente la chaleur fortement proche de son corps.

Tout était dans la nuance. Effrayer en suggérant, c'était bien plus subtil et savoureux que la torture à la vas-y-que-je-t'arrache-les-ongles-avec-mes-grosses-tenailles-rouillées. Cela prenait plus de temps aussi. Mais ce n'était, à vrai dire, pas plus mal. Lestrange aimait prendre son temps pour ces choses-là. Son goût du travail bien fait l'y poussait activement.
De plus, avec le bâillon, les gémissements gagnaient en prestance. C'était ça, la meilleure recette pour une séance de torture en bonne et due forme. Avant toute chose, le bourreau devait arracher des informations à sa victime, en y prenant plaisir, s'il en était capable. Et à vrai dire, Rodolphus était on ne peut plus compétent pour cela. Il avait l'impression de goûter aux gémissements de douleur et d'angoisse, c'était comme si on lui offrait sur un plateau d'argent une magnifique coupe de sorbet à la mûre. Un délice.

Mais comme chacun sait, toutes les meilleures choses ont une fin... surtout lorsqu'il s'agit de plaisirs solitaires, pour ainsi dire. Rodolphus était assis sur les cuisses de sa victime, à califourchon, et lui soufflait dans la figure, avec une effroyable lenteur, des bouffées de fumée de cigarette, lorsque la porte s'ouvrit sur une silhouette masculine qui entra d'emblée dans le cachot, demandant qui était cette femme. Le Mangemort quitta son perchoir et fronça les sourcils.

"Mon exutoire personnel, rien de plus, Angel."

Lestrange se sentait quelque peu froissé de l'utilisation d'un diminutif qu'on ne lui adressait que très rarement. D'où l'utilisation du patronyme du nouveau venu. Ce jeune homme était soit maladroit, soit horripilant. Dans un cas comme dans l'autre, seul Rabastan pouvait appeler ainsi Rodolphus. C'était les règles.
Ethan s'approcha alors de la table de torture et renversa son café chaud sur le visage de Gabrielle. Lestrange essayait de ne pas trop l'abîmer, cette femme, parce qu'il se servait d'elle pour se calmer, pour se changer les idées et même pour quelques tâches ménagères, à l'occasion : il la tenait alors en laisse et lui ordonnait de ranger son bureau ou de lui cirer les pompes. Une charmante femme, à la vérité, très serviable...

Se tournant vers elle, Rodolphus eut soudain dans les yeux une lueur étrange... Des yeux qui vous glaçaient le sang, si intenses que lorsque vous les fixiez, vous pouviez sentir leur puissance descendre dans votre corps, parcourir votre âme et quand vous finissiez par ne plus en pouvoir et que vous détourniez enfin le regard, vous vous sentiez subitement violé. Vous perceviez leur indiscrétion qui s'extrayait de votre corps sondé, et comme un membre profondément enfoncé dans votre intimité, le regard sortait son avidité des chairs et cellules et retournait à son point d'origine : les yeux malveillants qui vous fixaient sournoisement.

Ce regard était-il vraiment destiné à cette victime ou était-il dû à l'intrusion et au comportement d'Ethan? Excellente question. Par principe, Lestrange laissa faire le jeune homme, mais il n'accepterait pas qu'Angel prenne trop de libertés face à SA victime, SA Gaby... La baguette de Rodolphus vint sécher le café qui coulait sur le cou et les cheveux de Laskarina.
Conservant un regard mauvais, le sorcier détourna les yeux de sa victime et les posa sur le jeune Mangemort.

"Tu veux une moldue pour toi, Angel ? Nous avons eu un arrivage tout frais ce matin. Il y a de tout : des Blanches, des Noires, des Jaunes... peut-être même une peau rouge... L'import-export fait des miracles, à l'heure actuelle..."

Un ton mêlant promesse et ironie. Un ton qui laissait entendre que Lestrange n'admettrait pas un autre écart de comportement de la part d'Ethan, bien qu'il lui offre ainsi la possibilité de s'amuser comme il le désirait sur une victime qui ne serait qu'à lui. Pas partageur, Rodolphus? Mmmh, il y avait un peu de cela, effectivement...

Should I stay or
should I go ?

The Clash

Si les rencontres avec les collègues Mangemorts étaient mornille courante en ces lieux, cela n'en faisait pas pour autant des moments privilégiés. Rodolphus avait parfois besoin de moments calmes, d'une solitude avec laquelle il avait pris l'habitude de vivre. Mais c'était rarement possible.
Se défouler sur Gabrielle était une façon de retrouver cette bienfaisante solitude. Car il n'était pas question de considérer une victime comme un être humain digne de ce nom. Aux yeux du Mangemort, elle n'était qu'une manière de se changer les idées, comme les enfants moldus peuvent le faire en jouant sur une console de jeu vidéo. Un passe-temps, un loisir... un bouc émissaire, aussi. Bien que Lestrange restât toujours correct avec Laskarina, malgré la rage qui l'animait parfois.
Il avait sa propre manière de faire et, pour cela, il ne supportait pas qu'on vînt s'imposer à lui ni qu'on vînt regarder ce qu'il faisait et comment il le faisait. Rodolphus n'aimait pas cela. Pourtant, ça ne le dérangeait pas lorsqu'il s'agissait d'inculquer quelques bases à de jeunes recrues. Angel n'était pas ici pour cela.

"J'ai choisi cette femme il y a quelques mois, oui."

A l'époque, il avait porté son dévolu sur cette victime parce qu'elle avait un corps agréable à regarder. C'était l'incarnation d'une tentation à laquelle il ne voulait pas - il ne voulait plus - céder. Il fut un temps où Rodolphus avait besoin de l'une ou l'autre femme pour sublimer avec elles ce qu'il ne pouvait exprimer avec Bellatrix, mais les choses avaient fini par changer et les écarts de conduite datant de plus de vingt ans n'étaient pas à l'ordre du jour.
Lestrange passa l'index sur la joue de Laskarina et y récolta une larme qui roulait sur la peau pâle et chauffée par le stress.

"Je m'en sers pour tester de nouvelles idées. Cela sera utile lorsque nous aurons quelques Aurors sous la main..."

Car oui, il fallait se tenir prêt. Le Maître n'avait rien laissé paraître de ses projets à venir, mais le recrutement de Mangemorts allait de pair avec la chasse aux Aurors. Et Rodolphus mettait tout en oeuvre pour avoir un arsenal de torture complet, une foultitude d'idées plus machiavéliques les unes que les autres... sait-on jamais : si Alidor Beia venait à tomber entre ses mains, Lestrange tenait à lui faire subir la totale.
Le mélange de sadisme et de douceur faisait partie de ce plan. La douceur pour mettre en confiance et laisser espérer... le sadisme pour amener la douleur et le désespoir. C'était jouer aussi bien sur le mental que sur le physique. Double souffrance pour la victime.

Rodolphus couvrit négligemment la poitrine de Gabrielle d'un linge blanc tâché çà et là de quelques traces de sang. Se frottant les mains avec un autre linge, il vint faire face à Ethan.

"Alors, Angel, que veux-tu ?"