Sous ses doigts décharnés, l’or blanc glissait lentement. Déjà, le métal se réchauffait au contact de sa peau. Toute la noble et pure lignée des Black était représentée là, dans cette chevalière étincelante malgré les années. Tout ce prestige, dans la paume de sa main squelettique. Rien qu’à cette pensée, un large sourire défigura son visage maigre et glacial. L’image de ses géniteurs l’effleura l’espace d’une seconde. Cygnus Black, à qui la chevalière en question appartenait, si dévoué auprès de Lui, comme sa fille. Druella Rosier, dévouée elle aussi, mais davantage auprès de son époux. Comme la vie était plus douce lorsque le Seigneur des Ténèbres était à son apogée… Enfin, ce n’était après tout qu’une vulgaire question de temps avant que sa réapparition fusse officielle et qu’Il anéantisse le petit balafré. Et ce jour-là, elle serait présente, aux côtés du Maître, savourant une victoire apocalyptique contre Potter & Cie. Jamais elle n'oserait se laisser abattre. Trop fière ? Absolument. Aller jusqu’au bout – quitte à y laisser sa carcasse – si la cause était noble.
Trois heures, AM. Vautrée dans un fauteuil vert bouteille, Bellatrix ne cessait de tourner et retourner le petit objet argenté entre ses doigts. Personne d’autre – pas même ses propres sœurs – n’avait la faculté intellectuelle de comprendre le symbole de cette minuscule chose aux yeux de Bella. Elle seule, parmi les trois filles Black, avait réellement su être digne de son nom, et surtout, de son sang. L'adjectif « battante » semblait en effet avoir été inventé pour elle. Sûrement pas une banale coïncidence. Son prénom, Bellatrix, signifiait à lui seul « guerrière ». Narcissa ? Certes, elle était l’épouse de Lucius, et obéissait au Seigneur. Mais elle n’avait d’yeux que pour Drago, sa petite progéniture. Cissy était, naturellement, un cran en-dessous. Andromeda n’était… Non, cette sale traîtresse était à jamais rayée de sa vie. Mais, si par un heureux hasard, l’aînée croisait sa route, Andromeda recevrait un joli éclair vert dans la poitrine, avec les compliments de Bellatrix Black Lestrange. Quel déshonneur. Point, à la ligne.
Lestrange se leva brusquement, lassée par ces fantômes du passé. La démarche raide et plus qu'assurée, presque provocante par sa crânerie, elle s’approcha d’un pas rapide vers le large miroir orné de grosses dorures. Comme sa beauté avait souffert lors de son séjour à Azkaban… Presque méconnaissable, aujourd’hui. Quoique, non. Le sang des Black continuait à couler dans ses veines ; jamais cette rare prestance aristocratique ne la quitterait. Elle possédait toujours cette sorte d’élégance – bien qu’un peu altérée, ce port gracieux du corps, résidus de sa noblesse. Son allure était restée, malgré les années, simplement majestueuse. Une reine, voilà ce qu’elle était ! La reine des ténèbres ! Un rire glacial et effrayant s’extirpa de sa bouche et flotta quelques secondes dans la pièce. La tête renversée, en proie à une réelle démence subite, Bellatrix ne ressemblait décidément en rien à celle qu’elle avait pu être autrefois.
* * *
Tout juste seize ans. Depuis la veille. Aucun gâteau à son honneur. Tant mieux. Elle abhorre les débordements d’affection. Bellatrix Black s’arrête sur les marches de l’école. La pluie s’abat avec une violence exquise sur Poudlard. Elle était sur le point de se rendre près du Lac. Besoin d’être un peu seule. De ne plus avoir à supporter le supplice quotidien d’être en permanence avec ces Nargoles d’élèves. Ce que les profs appellent ses « camarades ».
- Black ! Attends !
Bellatrix se retourne. Elle est soudainement irritée par cette intrusion dans son espace vital. Intrusion non préméditée. Tout cela est bien importun.
- Quoi, Lestrange ?
Sa voix cingle son destinataire. Apparemment, le jeune Rodulphus semble désorienté par cette délicate once de mépris. Qu’importe. Qu’il dise ce qu’il a à dire, et qu’il s’en aille. Mais il hésite. Pourquoi ? Nom d’un Ronflak Cornu, qu’il agisse, bon sang ! Il la regarde. Il est à l’intérieur, elle non. Bella est trempée jusqu’aux os. De grosses goûtes d’eau glissent le long de son visage. Ses cheveux paraissent avoir atteint l’obscurité la plus absolue. Couleur corbeau. Ils sont lisses, dégoulinent de pluie. A chaque battement de cils, quelques gouttes emprisonnées chutent sur les pommettes, finissent leur course jusqu’au col de la chemise blanche. Le petit serpent d’argent trône fièrement sur le blason vert de sa cape. Elle attend. Mais ne sait même pas pourquoi, à vrai dire. Elle réfléchit. S’enfuir en courant. Echapper. Oui, échapper. Mais elle reste figée. Allez savoir pourquoi. Lestrange la regarde. Il pense qu’elle est belle.
* * *
- Rodulphus ?
Foutu passé. Dès qu’il avait une satanée occasion de se mêler sournoisement au présent, il ne la ratait pas ! Rodulphus n’était pas dans la demeure. Encore trop tôt ; trois heures quarante-deux. Et elle n’avait plus seize ans. Fini l’uniforme de Serpentard, bonjour toilettes somptueuses. Le reflet de Bellatrix avait quelque peu changé depuis les joyeuses années Poudlard. Sa joliesse d’alors avait été anéantie. Enfin, cette beauté dont elle avait été munie était juvénile, innocente, dépossédée de tout caractère, de toute expérience. Dorénavant, cette beauté-là n’existait plus. La quarantaine. Depuis quelques années. Pourtant, elle appréciait ces traits ravagés par la folie, ce nez fin et pointu, cette chevelure ébène encore plus indomptable. Ce visage anguleux, émacié. Ce teint cadavérique. Ces joues creuses. Cette lueur sauvage qui sans cesse illuminait ses prunelles sombres. Cette cruauté qui se lisait si facilement sur chaque parcelle de son enveloppe charnelle. Sa beauté avait mûri, voilà tout. Elle s’était accomplie en tant que femme. La fillette Black avait disparu. That’s all. En revanche, sa silhouette d’autrefois n’avait pas osé se métamorphoser. Bellatrix était toujours aussi maigre. Toujours élancée, avec ses longues jambes, ses poignets osseux, et ses longs doigts fins – rarement sujets aux tremblements. Être remarquée et admirée pour sa beauté, mais être crainte pour son absence totale de pitié et sa cruauté sans limites. Cette lueur de fierté insolente scintillant dans ses prunelles... Rodulphus la connaissait si bien. Ce besoin constant de défier, d’imposer le respect, le silence par sa présence. L’orgueil ! Le vrai vice de Bellatrix. Elle aimait ce qu'elle était devenue et ce qu'elle dégageait. Plaire ; une nécessité, certes. Avoir la fâcheuse idée de la taquiner n’aurait donc pas été une preuve de sagesse et penser à l'insulter... Un billet gagnant à la roulette russe. La confiance en soi ; une assurance vie, selon la sorcière. Pourquoi ne pas se fier qu'à son propre et unique jugement, celui du Seigneur ? Entretenir une foi sans bornes envers sa propre personne, quoiqu’il puisse arriver. Volontaire, perspicace et passionnée, elle se donnait les moyens pour arriver à ses objectifs. La fin justifie les moyens ? Eh bien, si l’on suivait sa logique ; pas qu’un peu. Se casser un ongle ou froisser sa belle robe de sorcière ne l’effrayait pas. C’était particulièrement translucide ; une idée en tête, un ordre du Maître et il devenait presque impossible de lui faire changer d'avis. Seul le Seigneur des Ténèbres parviendrait à modifier son opinion. Et Bella était dotée d’une ruse sans égal. Se mettre dans de mauvaises situations, c'était le métier qui voulait ça, mais elle savait parfaitement comment se tirer d'affaire sans dommages considérables. Complètement obstinée et intuitive, oui. Après tout, elle n’était pas le bras-droit du Maître pour rien. Elle le méritait profondément – ça, elle en était persuadée jusqu’au fond des tripes. Elle ne se pliait qu'à une seule et unique loi ; celle du Seigneur, à qui elle vouait un véritable culte. Bellatrix était réputée pour sa loyauté sans failles. La plus fidèle des Mangemorts. Et elle ne se privait pas pour le faire remarquer à ses camarades ou s’attirer les faveurs du Lord.
* * *
Années 70.
Il est si près d’elle. Elle pourrait le toucher. Le Seigneur des Ténèbres se tient devant elle, majestueux. C’est un rêve qui se réalise. Agenouillée, elle ne peut détacher son regard de ce visage. Toute entière, elle frémit d’admiration. Enfin, elle rejoint les Mangemorts. Sa vie a désormais un sens. Le Lord se détourne, c’est fini, ils sont acceptés. La vie commence.
* * *
- TU VAS LA FERMER ?
Sa voix tremble de rage. La main reste souple, pleine de sûreté. L’homme se tord de douleur. Il est à terre. Sans défense. On dirait un petit ver qui gigote inlassablement. Bellatrix ne tente pas d’apaiser sa rancœur. Au contraire, elle la nourrit avec une joie monstrueuse. Elle se laisse aller à sa fureur. Objectif ; faire durer le supplice aussi longtemps que possible. Pour s’en délecter. Noble action. C’est le Maître qui veut ça. C’est sa première torture sous les ordres de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom. Torturer ce traître est une véritable jouissance physique.
- On recommence, mon agneau ?
L’homme la fixe d’un regard terrorisé. Apparemment, il ne veut pas. Ils ne vont pas s’entendre, tous les deux. Bellatrix sourit.
- ENDOLORIS !
Le ver hurle. Elle rit à gorge déployée. Diabolique.
* * *
Effroyablement colérique, Bella l’était. Et mieux valait ne pas être dans les environs lorsqu'elle était contrariée, car c'était une vraie tornade qui provoquait le chaos partout où ses pas la guidaient. Ces violentes crises de complète hystérie la prenaient régulièrement et en général, le remède restait inchangé ; un bon petit massacre de sang-de-bourbes pour raviver sa bonne humeur. Oui, l’épouse Lestrange était pourvue d’une violence et d’une cruauté sans limites. Son être entier était possédé par une fougue vivace et incontrôlable, un élan, une force intérieure singulière et qui la rendait supérieure, hautaine. Particulièrement agressive, elle blessait là où cela heurtait le plus et faisait tout ce qui est en son possible pour défendre l’honneur du Maître et son amour propre. C’était une sorcière des plus puissantes, pourquoi le cacher ? Talentueuse et parée d’une puissance considérable, les sorts, ça la connaissait. Il fallait faire régner sa loi. Il fallait survivre, un point c’est tout. Et pour cela, elle était réellement douée. Comme pour la torture, son activité favorite. Débordante de sadisme, Bellatrix se sentait emplie d’un pouvoir divin lors d’un châtiment. Elle se sentait être. « Presque meilleur qu’un orgasme » s’amusait-elle à proclamer, surtout devant son époux.
* * *
- Tu es folle !
- Ça ne te dérangeait pas avant.
Rodulphus s’obstine. Bella est lasse. Elle le dévisage, sans dire un mot. Il a l’air furax. Elle s’approche, colle sa bouche à la sienne.
- Tu m’aimes ?
Il l’enroule de ses bras. Il sourit. Il n’est plus mécontent.
* * *
Avoir une réputation de sorcière tordue et psychosée n’était pas facile tous les jours. Sauf quand cela s’avérait être l’entière vérité. Et Bellatrix n’en avait que faire. Trop atteinte psychologiquement pour se soucier de l’opinion des autres, tant que celui du Seigneur lui était favorable. Elle était dévorée par sa propre folie, complètement insane. Et elle aimait ça.
Quel ennui… Trois heures cinquante-quatre. Bella passa une main nonchalante dans sa crinière brune, découvrant ainsi le signe de son appartenance à l’obscurité. Elle ne quittait pas le reflet des yeux. Sur son avant-bras gauche, s’étendait la marque des Ténèbres. C’était comme un fragment du Lord qu’elle avait dans la chair. Avec délicatesse, elle porta ses lèvres jusqu’à la marque. A quand l’action ? Vraiment, elle aurait pu faire quelque chose de plus… utile que d’attendre le retour de son mari.
1969.
Finalement, elle s’était laissée attraper. Longtemps, elle avait été en proie à l’hésitation. Mais elle l’aimait bien. Et puis, physiquement, il n’y avait rien à jeter. C’était donc « tout bénef’ », non ? Elle imaginait déjà leur avenir commun, au service de la magie noire. Le Choixpeau ne s’était pas trompé en envoyant Bellatrix à Serpentard. C’était quasiment devenu une tradition honorifique chez les Black. Plus tard, son traître de cousin ferait tout pour échapper au sort Salazarien, et cela resterait une profonde erreur. Sirius Black… Bella ne se doutait pas qu’elle nourrirait un jour une haine sans nom à son égard. Cette année ; la dernière à Poudlard. ASPIC et Compagnie. Il était grand temps de prouver à toute l’école ce qu’elle valait.
- Bonjour.
Rodulphus, installé dans un canapé couleur crapaud dans la salle commune de Serpentard, sentit deux mains pleines de douceur entourer son torse. Il bascula la tête en arrière, et n’eut qu’une seconde pour dévorer des yeux sa petite-amie fraichement arrivée de son dortoir. Bella s’était davantage penchée et avait fougueusement capturé les lèvres de Lestrange avec les siennes.
* * *
1962.
Les visages étaient tous marqués par l’angoisse. Le même doute planait au-dessus des têtes. Où allaient-ils être répartis ? La petite Black, elle, était étrangement sereine. La conviction de poursuivre la tradition l’apaisait. Avec un sourire malicieux, elle observait les enfants, ses futurs camarades. Ils n’étaient pas maîtres de leur destin, ils n’avaient aucun contrôle, Bellatrix si. Lorsque son nom résonna dans la Grande Salle, elle s’avança, la tête haute, sans un regard pour personne. Du haut de ses onze ans, elle affichait une suffisance déjà digne de sa future maison. Le Choixpeau n’eut pas à peser le pour et le contre bien longtemps. Il avait à peine effleuré une mèche corbeau qu’il lui octroya un aller simple pour Serpentard. Sous les applaudissements des élèves de sa nouvelle maison, Bella alla rejoindre la table. Elle ne pouvait se séparer d’un sourire détestablement orgueilleux.
* * *
1960.
La rose était en flammes. C’était un somptueux spectacle. Quoique surprenant pour une fillette de neuf ans. Sa vie venait de basculer. Elle avait des pouvoirs. La magie qui nageait dans le sang de ses parents était présent dans le sien. Ce malotru de petit voisin avait eu le culot de déclarer qu’il l’aimait. Ce moldu ! Infâme déshonneur ! Bella le méprisait de toutes ses forces. Elle avait fui au pas de course à l’instant même où le garçon lui avait mis entre les mains cette misérable fleur. Cette soit disant preuve d’amour. Eh bien, voilà ce que Bellatrix brûlait de répondre ; au diable l’amour ! Elle n’en voulait guère. Le souffle court, elle s’était réfugiée dans le parc, près de la demeure familiale, fulminante. Tous ses petits membres étaient victimes de spasmes de colère. Et elle avait fixé cette rose, jusqu’à ce que l’incident se produise. L’immolation directe. Elle était une sorcière. Rien n’avait plus d’importance à ce moment-là que cette certitude satisfaisante. C’était l’euphorie totale. Comme ses parents seraient fiers !
* * *
Bellatrix était d’une inquiétante immobilité, devant le vieux miroir. Elle n’aimait pas s’attendrir sur son passé, mais elle ressentait une fierté singulière quant à son parcours. Petite élève de Serpentard exemplaire. Des capacités magiques impressionnantes, un caractère unique et en constante révolte. Une vraie Black. Une sang-pur.
Puis, il y eut… ça. La chute du Maître. Le désarroi complet, la panique générale. Mais jusqu’à son dernier souffle, Bella s’était juré de servir le Seigneur des Ténèbres. Alors, il fallait agir. Rodulphus, Bellatrix et Rabastan Lestrange, aidés par Barty Croupton Jr capturèrent deux Aurors ; Alice et Frank Londubat. L’objectif ; savoir où était le Maître. Les Londubat ne parlèrent pas. Il fallait s’y attendre… Bella leur infligea le sortilège Doloris jusqu’à ce que la folie s’empare de leurs esprits. Ce fut un billet direct pour Azkaban. Mais jusqu’à la fin, elle resta d’une dignité époustouflante. Digne du Lord.
Néanmoins, la bonne étoile de Bella revint scintiller au-dessus de sa crinière ébène. Janvier 1996 ; « ÉVASION MASSIVE D'AZKABAN » scanda la Gazette du Sorcier. Après quatorze années d’incarcération, Les Lestrange se retrouvèrent libres, enfin.
Et la voilà. Impériale, dans une robe en velours bleu nuit, scrutant sa propre image dans un miroir poussiéreux. Libre, puissante, ivre de vengeance.
D’un geste brusque, elle plaqua sa main contre le miroir et resta ainsi, hagarde, s’observant, guettant ses propres mouvements. Par instants, l’image se confondait, et la Bellatrix prisonnière refaisait surface dans la glace, en uniforme d’incarcérée, non apprêtée, la mine grisâtre. Les sottises, c’était fini. Il y allait avoir du changement... Le chaos.